2019 a été l’année de la consécration pour Mauro Colagreco. Le chef italo-argentin, installé à Menton dans le Sud de la France, a décroché cette année-là sa troisième étoile au Guide Michelin, le titre de meilleur chef du monde mais également le prix du meilleur restaurant du monde pour le Mirazur.
C’est donc un grand honneur que me fait aujourd’hui Mauro Colagreco en acceptant de répondre à mes questions non pas pour un grand média, mais pour mon petit site parlant de gaspillage alimentaire !
Si j’ai eu envie d’échanger avec le chef sur le sujet, c’est parce qu’il fait partie de ces cuisiniers vraiment engagés. En contrebas du Mirazur, Mauro Colagreco possède en effet son propre jardin en permaculture, qui alimente quotidiennement les cuisines du restaurant. Il se fournit également auprès des producteurs locaux et ouvre la voie vers un modèle zéro déchet global. En début d’année, le Mirazur est même devenu le premier restaurant du monde à recevoir la certification Plastic Free (sans plastique). Une démarche qui va de pair avec la lutte contre le gaspillage, dont le chef nous parle ci-dessous :
Vous êtes le premier restaurant au monde à avoir obtenu la certification Plastic Free. Comment s’est passée la transition ? Quels conseils pourriez-vous donner aux restaurateurs qui souhaiteraient suivre ce chemin ?
Ça a été une démarche intense. Nous avons réalisé les énormes difficultés qu’il pouvait y avoir à réduire le plastique. Tout le monde devait collaborer et être dans le même état d’esprit. Nous avons travaillé avec nos fournisseurs en leur demandant de nous livrer leurs produits dans des emballages recyclables, si possible compostables. Nous avons réussi à leur faire comprendre notre démarche et maintenant ils appliquent cela pour leurs autres clients.
Lucca Mattioli, mon sous-chef, a particulièrement pris le projet en main pour le faire avancer et le communiquer aux entreprises susceptibles de nous aider dans la démarche.
Plastic free certification est une start-up innovatrice italienne qui a permis de standardiser notre projet pour qu’il soit applicable à d’autres entreprises. Il faut savoir que ce projet implique d’être persévérant, convaincu et qu’il nécessite un grand travail de conscientisation en amont. Mais nous sommes la preuve que cela est possible ! Nous voulons encourager le plus de personnes à repenser leurs actions, leurs façons d’agir et d’essayer de faire des changements pour réduire l’impact négatif sur le territoire.
Crédit photo : Nicolas Lobbestael
Que pensez-vous du gaspillage alimentaire de façon générale ?
Faire face au gaspillage alimentaire est un des grands défis de notre secteur. Il y a des données terrifiantes dans le monde. Surtout dans les grandes villes. On pourrait faire du compost, obtenir du gaz…sans compter tous « les déchets » qui peuvent être utilisés comme nourriture. Il s’agit surtout comme pour tous ces sujets, d’un problème de conscience et de valeurs. C’est une question surtout éthique.
Je peux vous donner un exemple de petite échelle par rapport à la dimension du thème du gaspillage. Un jour j’arrive dans la cuisine du Mirazur et je vois que dans le sceau de déchets destiné à être jeté dans le compost, il y avait de superbes légumes qu’on pouvait encore utiliser. J’ai alors réuni toute l’équipe de cuisine, et je leur ai demandé d’enlever ses légumes « de la poubelle » . Nous avons cuisiné une bonne soupe avec ces légumes, que nous avons ensuite mangé ensemble autour d’une discussion sur le thème du gaspillage. Je crois que ça a été une expérience très marquante pour tous. Il faut assumer nos actions et nos discours en tant que chefs. C’est très important. Nous pouvons faire évoluer les choses à notre échelle.
Dans un restaurant gastronomique, on taille souvent les légumes de manière à obtenir un joli rendu visuel. Que faites-vous des parures ? Comment les cuisinez-vous ?
Dans les cuisines du Mirazur on essaye de ne rien jeter. Au contraire on invente de recettes nouvelles pour utiliser les produits en entier. Mais il y a toujours des restes de légumes, coquilles d’œufs, café… on les valorise en les recyclant dans notre compost ou par l’action de micro et macro-organismes décomposeurs (comme des vers de terre). Ils se transforment en terre fertile riche, en composés humiques et en minéraux pour nourrir le sol.
Le pain est généralement le produit le plus jeté à la poubelle par les restaurateurs. Avez-vous des astuces pour le réutiliser ?
Nous avons la chance d’avoir nos propres jardins, notre potager et notre poulailler ce qui nous permet de recycler et réutiliser beaucoup de déchets du restaurant. Quant aux restes du pain, ils sont le délice de nos poules !
De même avec les poissons et viandes ?
On utilise les os, les parures et les carcasses pour faire de sauces, de bouillons, de fumets…
Avez-vous des exemples de plats zéro déchet au Mirazur ?
Oui, Le consommée de pomme de terre (comment réutiliser les peaux de pommes de terre). Recette ici.
Quelles valeurs transmettez-vous à vos équipes autour de toutes ces notions ?
Je pense que la meilleure façon de faire passer le message aux équipes est avec notre engagement quotidien, matérialisé par toutes les actions concrètes que nous avons
mise en place au restaurant.
Pour renforcer ce travail, depuis quelques années nous avons chaque semaine une journée qui est dédiée à la formation du personnel. Nous en profitons pour traiter ce genre de sujets. Nous invitons aussi des passionnés qui veulent transmettre leur amour pour la terre, nous partageons nos doutes, nos désirs, nos ambitions…
De plus, chaque semaine une personne de la salle et de la cuisine vient travailler au jardin afin de mieux connaitre le cycle des produits qui arrivent au Mirazur. Ainsi, ils comprennent mieux la façon de les traiter, de les associer etc. A savoir, nous travaillons nos jardins en permaculture et pour la plupart c’est un moment privilégier pour renouer le contact direct avec la terre.
Où ? Mirazur, 30 avenue Aristide Briand, 06500 Menton.