Romain Meder : « Ne rien jeter, ça ne coûte rien de plus à part du temps »

Romain Meder est celui qui m’a donné envie de créer ce blog il y a maintenant un an. À cette époque, j’ai rencontré le chef triplement étoilé du Plaza Athénée pour la sortie de son premier livre, Naturellement Libre, un ouvrage bourré de recettes mais aussi d’astuces anti-gaspi.

Au fil de la conservation, un nouveau monde s’était ouvert à moi où les produits qui finissent habituellement à la poubelle sont transformés et sublimés pour en faire quelque chose de bon, voire très bon. Car pour Romain Meder, faire de l’anti-gaspillage n’a aucun sens si le goût n’est pas au rendez-vous. D’ailleurs, le chef n’aime pas particulièrement ce terme « anti-gaspi ». « Le but c’est plutôt de donner une vie à des produits qui normalement partiraient au compost. Ma priorité, au-delà de ne pas jeter, c’est de découvrir de nouvelles saveurs avec des produits qu’on a tous sous la main. »

En effet, pas question pour le chef de nous parler ici de recettes à base de produits introuvables pour le commun des mortels. L’idée, c’est de donner des clés à chacun d’entre nous pour tendre vers une démarche plus engagée, même si Romain Meder ne souhaite absolument pas faire la morale à qui que ce soit.

Parmi les exemples qui lui viennent directement à l’esprit, le chef cite la limonade aux peaux de betterave, une boisson ludique dont je vous avais déjà parlé aux débuts de ce blog où les épluchures présentent une vraie utilité. « À travers ce type de recettes où l’on ne jette rien, on respecte davantage le travail de ces hommes et ces femmes qui consacrent leur vie à l’agriculture », assure Romain Meder. « Mais je ne garde pas pour garder. Il y a malheureusement des produits dont on ne peut rien faire, la nature est ainsi faite. »

Un thé glacé aux épluchures de légumes

« De manière générale, je récupère toutes les épluchures de légumes que je mets dans une casserole avec de l’eau pour faire un bouillon de légumes. On peut utiliser ce bouillon dans un plat ou même comme thé glacé si on l’acidifie avec un peu de citron, et qu’on le parfume avec un peu de gingembre ou de la menthe par exemple. C’est super agréable et ça ouvre une bibliothèque de goûts différents. Ce qui m’intéresse dans cette démarche, c’est de n’avoir aucun point de repère. Le thé glacé à la pêche, tout le monde connaît, peut comparer et identifier le meilleur. Là, on a une identité propre, qu’on ne peut pas comparer avec ce que l’on trouve ailleurs. C’est ça le but de ma cuisine. »

Il y a quelques semaines, Romain Meder a également lancé Naturaliste avec le groupe Alain Ducasse, un service de plats livrés à domicile ou à retirer sur place (à Paris), suivant la même démarche qu’au Plaza Athénée mais à des prix beaucoup plus abordables.

Tout comme dans le restaurant triplement étoilé, le chef tente chez Naturaliste de proposer une offre engagée tant au niveau de l’approvisionnement des ingrédients que du gaspillage mais aussi du packaging recyclable. « Chaque cuisinier devrait être sensibilisé à ce genre de démarche », estime Romain Meder.

Un ceviche aux fanes de carottes

Lorsque je lui demande des exemples de plats zéro déchet proposés chez Naturaliste, le chef n’a pas à réfléchir longtemps : « On a par exemple un dessert poire et amande. Les amandes sont trempées toute la nuit dans l’eau puis mixées jusqu’à obtenir un yaourt crémeux qu’on passe au tamis pour récupérer l’okara (la pulpe d’amande) qu’on utilise comme un condiment pour avoir deux goûts différents. Pour les poires, la peau est vinaigrée puis séchée et mixée pour obtenir une poudre légèrement acide qu’on utilise comme un assaisonnement. J’aime beaucoup travailler sur ce type de poudre car au-delà d’être esthétique, ça apporte surtout beaucoup de profondeur. »

Autre exemple ? « Le maïs ! On récupère les feuilles, on les fait sécher fortement au four pour en faire un bouillon au goût de pop corn un peu brûlé, c’est top ! Au Plaza, on avait aussi une recette de poireau brûlé. On récupérait les feuilles extérieures les plus brûlées pour les passer à l’extracteur. On obtenait un jus fumé qu’on utilisait pour faire une vinaigrette qui accompagnait le poireau. C’est le même produit mais avec un goût différent, complémentaire. »

Autre produit fétiche de Romain Meder ? La carotte et ses fanes, que le chef utilise pour réaliser un délicieux ceviche pour Naturaliste. « On coupe les carottes en julienne et on ne les assaisonne pas. En revanche, j’utilise les fanes que je passe au blender avec des oignons, du citron, de l’ail et de la glace pour réaliser un ‘leche de tigre de fanes’, qui va venir aromatiser le plat »

La recette du ceviche de Romain Meder ici.

Romain Meder aime également imaginer des plats avec des restes de pain. « Dans les restaurants comme le nôtre, où l’on sert des pains individuels, on fait en sorte de doser mais il y a toujours un peu de perte. Ca me fait mal au cœur de jeter ça ! Alors on récupère les ficelles, on les sèche et on les mixe pour obtenir une farine de pain qui peut servir à faire des cakes, des bases de tarte« , un tas de recettes à retrouver dans Naturellement Libre, l’ouvrage de Romain Meder.

« Une fois de plus, c’est bon pour la planète, ce sont des goûts peu communs et ça ne coûte rien de plus que du temps. »

Crédit portrait : Stéphane de Bourgies
Crédit plat : Philippe Vaurès Santamaria