Florent Ladeyn est certainement le chef qui a le plus éveillé ma conscience autour du consommer local, mais aussi du gaspillage alimentaire. Je me souviens encore de ma rencontre avec lui en 2017 à Lille, dans le cadre de mon travail pour FineDiningLovers. Nous avions passé l’après-midi à parler de sa démarche très engagée pour son terroir, loin des discours hyper marketés de nombreux chefs en la matière, et cette longue conversation a provoqué un véritable déclic chez moi.
Dans ses différents restaurants – L’Auberge du Vert Mont à Boeschepe, Bloempot et Bierbuik-Bloemeke à Lille – Florent Ladeyn propose une cuisine réalisée uniquement avec des produits trouvés dans les 50km aux alentours. Là-bas, vous ne mangerez donc pas de chocolat, de vanille ou de yuzu en dessert et ne boirez pas de café après le repas mais une boisson à base de chicorée. Pas question non plus pour le chef d’assaisonner ses plats avec du poivre ou des épices venues de loin. À la place, il choisit minutieusement des herbes locales (et souvent méconnues) pour apporter du relief dans l’assiette.
Le produit a-t-il quelque chose de plus à donner ?
Le gaspillage alimentaire est également une thématique chère au cœur de Florent Ladeyn, pour des raisons écologiques mais aussi économiques. Dans ses différents établissements, le chef propose des menus à prix très abordables. Pour tenir ces tarifs tout en payant tout le monde – producteurs et personnel – au juste prix, « il faut être malin », s’amuse-t-il. Alors, plutôt que de jeter tout et n’importe quoi à la poubelle, Florent se demande toujours « si le produit a quelque chose de plus à donner ». Si la réponse est oui, un nouveau plat voit le jour, à moindre coût, mais jamais au détriment du goût. Ainsi, les arêtes d’un poisson vont servir à préparer un fumet de poisson et les carcasses de volaille un bouillon. « On fait aussi notre pain maison et c’est toujours difficile de prévoir les quantités. Et s’il y a bien un truc que je déteste, c’est être à cours de pain pendant un service. C’est hyper frustrant d’avoir envie de saucer un plat et qu’on te dise qu’il n’y a plus de pain », estime le chef, qui prévoit toujours en larges quantités. S’il en reste, Florent Ladeyn a la solution : « On en fait de la chapelure mais aussi plein d’autres trucs cool. Ca fait un moment qu’on travaille sur un accord mets/boissons sans alcool sur un menu complet et on s’est mis à préparer du kvas, une boisson fermentée à base de pain. C’est vraiment top ! », se réjouit-il.
Aussi, en parcourant la page Instagram (très drôle !) de Florent Ladeyn, je suis tombée sur une photo de Cookies aux drêches, soit les résidus du brassage des céréales. « On brasse notre propre bière pour nos différents restaurants et on a toujours une tonne de drêches sur les bras », reconnaît le chef. Souvent, les brasseurs utilisent les drêches des bières fortes, comme les triples, pour brasser une autre bière, plus douce, ou donnent ces drêches pleines de protéines aux agriculteurs pour nourrir le bétail. Mais Florent Ladeyn a une façon bien particulière de recycler les drêches : « On s’en sert pour sucrer nos boissons de fermentation. Quand tu les rinces bien, ça peut remplacer le sucre dans le kombucha, le kéfir et le kvas. On en utilise aussi dans nos pâtes à pain, à flamiche, à biscuits, à crackers, à cookies… » Bref, la liste des possibilités est infinie ! « En fait, quand tu ajoutes des drêches dans une préparation, tu vas apporter de l’humidité. Pour le pain par exemple, tu vas enlever 5% d’eau à ta préparation habituelle, pour les cookies, plutôt que de mettre du beurre, tu vas mettre des drêches et du beurre clarifié », explique-t-il
Un menu unique à L’Auberge du Vert Mont
Pour limiter le nombre de déchets qui part à la poubelle, Florent Ladeyn a un autre principe, très logique et très simple : ne pas éplucher les fruits et légumes. « Nos produits étant issus de l’agriculture bio et raisonnée, on les épluche très peu car il n’y a pas de produits chimiques à enlever. En plus, la peau d’un légume agit un peu comme une papillote naturelle à la cuisson. »
Aussi, « pour lutter contre le gaspille à L’Auberge du Vert Mont, on propose un menu unique. Quand tu laisses le choix à la carte, tu ne sais jamais ce que les gens vont prendre alors il faut prévoir de grandes quantités qui ne seront peut-être pas mangées. En imposant le menu, tu limites ce problème. Bien sûr, on s’adapte en fonction des goûts et des intolérances si besoin », mesure-t-il.
Pour autant, le chef originaire des Flandres n’est pas un utopiste. « Le zéro déchet en cuisine, ça n’existe pas. Il y a forcément un moment où tu vas jeter quelque chose, comme une carcasse de volaille ou un emballage. Le tout, c’est de faire les choses intelligemment. »
Crédits photo portrait : Anne-Claire Héraud